Comprendre ne suffit pas toujours. Encore faut-il que le cerveau puisse faire autrement.

Il y a des comportements qu’on ne choisit pas.
Pas parce qu’on manque de volonté, mais parce qu’on n’a plus la capacité de faire autrement.

Dans Le corps n’oublie rien, le psychiatre Bessel van der Kolk raconte l’histoire d’un homme d’une cinquantaine d’années, intelligent, marié, mais prisonnier de pulsions sexuelles incontrôlables. À chaque dispute, à chaque montée de tension émotionnelle avec sa compagne, le même scénario se rejouait : il allait chercher refuge dans des rapports impulsifs et dangereux. Ce schéma répétitif avait fini par briser son mariage et le rendre séropositif.

Cet homme avait déjà suivi une thérapie et compris beaucoup de choses sur son passé mais savoir pourquoi il agissait ainsi ne lui avait pas donné les moyens de faire autrement. Car son système nerveux restait dérégulé, coincé dans un mode de survie, incapable d’apaiser ses réactions émotionnelles.

Van der Kolk lui propose alors un protocole de neurofeedback, non pas pour “supprimer une pulsion”, mais pour réguler une activité cérébrale déséquilibrée. Une forme d’entraînement qui aide le cerveau à retrouver son propre équilibre, sans passer par la parole.

« Le premier homme que j’ai traité par neurofeedback en était un bon exemple. Âgé d’une cinquantaine d’années, il se disait hétérosexuel, mais il avait des rapports compulsifs avec des inconnus dès qu’il se sentait abandonné et incompris. Ce problème avait brisé son mariage et il était devenu séropositif ; il voulait à tout prix contrôler sa conduite. Lors d’une thérapie précédente, avec un professionnel aguerri sans succès qui l’avait suivi sans succès pendant plus d’un an, il avait longuement parlé d’un oncle qui avait abusé de lui quand il avait huit ans. Sa compulsion, supposait-il, était liée à cette agression, mais établir ce lien n’avait rien changé dans ses errements. Je l’ai entraîné à produire des ondes cérébrales plus lentes dans son lobe temporal droit. Une semaine après, il a eu une querelle pénible avec sa nouvelle compagne et, au lieu de foncer dans son lieu de drague habituel, il est allé pêcher. J’ai attribué cette réaction au hasard ; mais pendant les dix semaines suivantes, pris dans sa relation houleuse, il a continué à trouver un réconfort dans la pêche. Lorsqu’il a manqué trois semaines de neurofeedback du fait de nos vacances respectives, sa compulsion est revenue, ce qui suggérait que son cerveau n’avait pas encore stabilisé ses nouveaux schémas. J’ai poursuivi son entraînement pendant six mois et aujourd’hui, quatre ans plus tard, nous faisons le point ensemble deux fois par an. Il n’a plus éprouvé le besoin de se livrer à ses pratiques dangereuses. Comment son cerveau en était-il venu à trouver un soulagement dans la pêche plutôt que dans une compulsion sexuelle ? Pour l’instant, cela reste un mystère. Le neurofeedback change les schémas de connectivité du cerveau. L’esprit suit en créant de nouvelles sortes d’engagement. »
— Extrait du livre Le corps n’oublie rien – Bessel van der Kolk (Éditions Albin Michel)

Et puis, un jour, après une dispute avec sa nouvelle compagne, ce qui autrefois aurait suffi à relancer le même comportement autodestructeur, il n’est pas allé chercher refuge dans ses anciennes habitudes. Il est allé… pêcher.

Un geste banal, inattendu, presque poétique. Au début, le thérapeute pense à une coïncidence mais en observant la suite du protocole, il comprend que non : quelque chose avait réellement changé dans le système nerveux de son patient. Le neurofeedback avait permis au cerveau de retrouver une voie plus stable, plus régulée. Et quand la régulation revient, les comportements s’apaisent, naturellement, sans effort conscient.

Réguler, c’est redonner une capacité

Le neurofeedback ne “corrige” pas une personne, il lui rend sa capacité à se réguler. Et quand le système nerveux sort du mode de survie, il retrouve enfin la possibilité de choisir autrement.

Ce n’est pas une méthode pour “ajouter” quelque chose, c’est une façon de réparer le terrain pour que la personne retrouve ses ressources. Et c’est souvent quand on ne s’y attend plus, que le cerveau, apaisé, invente une autre route.

Et si le vrai changement…

Et si le vrai changement, ce n’était pas “ne plus avoir de symptômes”, mais simplement retrouver la capacité d’être soi, autrement ? Parce qu’il ne s’agit pas d’effacer ce qui a été vécu, mais de redonner au cerveau sa liberté de mouvement.

Et parfois, cette liberté prend la forme la plus simple qui soit : un homme qui, un jour, au lieu de céder à sa pulsion… part pêcher.



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